Tribune d'Emmanuelle Blanc, étudiante en Bachelor MHR - retour sur la table ronde "Rebondir après un écher entrepreneurial"
C’est en ce mardi 25 juin que nous nous sommes de nouveau retrouvés afin de participer à la dernière table ronde de l’année académique, animée par Marie-Pascale Ragon, notre Alumni Relations and Events Manager. Cette dernière conférence nous a donc permis de clôturer l’année 2024 sur une note positive et inspirante, au travers d’un thème en vogue dans un monde dans lequel l’envie de créer et d’affirmer son ADN est grandissante, notamment dans le milieu de la restauration. Ancrée dans l’ambition majeure de l’association Ferrandi Alumni, qui n’est autre que de faire rayonner un riche réseau au sein de notre secteur d’activité, cette table ronde a mis en lumière les aléas, les contraintes ainsi que les ambitions de ceux qui ont entrepris mais qui se sont retrouvés face à des situations d’échec. Comment accepter l’échec ? Comment s’avouer vaincu face à un projet qui nous tenait tant à cœur ?
Tout simplement, comment rebondir après un échec ?
Sujet parfois tabou dans une société où la perfection prime toujours, bien qu’elle n’existe pas, où l’effort des plus pugnaces n’est pas forcément récompensé, où l’on ne regarde que la finalité, au détriment des nombreuses étapes qui constituent un projet. Le projet d’une vie, la vie d’un projet. Tant de contraintes et de difficultés auxquelles sont confrontés les entrepreneurs, « à leurs risques et périls ». Pourtant, la volonté et l’ambition finissent toujours par l’emporter. Comme le disait si bien Henry Ford, l’un des plus puissants entrepreneurs de la première moitié du XXe siècle : « L’échec n'est qu’une opportunité pour recommencer la même chose plus intelligemment ».
Dès lors, afin de célébrer cette thématique tout aussi enrichissante qu’inspirante, nous avons convié trois intervenants de marque exerçant une influence majeure dans le secteur de l’entrepreneuriat et de la restauration : le très célèbre Chef Pierre Gagnaire, emblème de la gastronomie française et précurseur de la Nouvelle Cuisine, Rodrigue Barcilon, entrepreneur et cofondateur du restaurant OTE, ainsi que Philippe Le Meur, Secrétaire Général de l’association « Second Souffle » venant en aide aux entrepreneurs en situation d’échec.
Si nous vivons dans un monde où l’échec tend à être stigmatisé, voire réprimé, ce dernier a pourtant su forger le caractère et les expériences de nos intervenants, et de nombreux autres entrepreneurs. Pierre Gagnaire l’a, lui, connu au travers de la reprise du restaurant familial, à une époque où être l’aîné de la fratrie rimait souvent avec successeur. Si ce dernier a dû mettre les clés sous la porte, étant confronté à une clientèle ne correspondant pas toujours aux directions prises par son établissement, il a rebondi en quittant sa région natale pour s’envoler vers la capitale. Propice à l’imagination et à l’émergence de nombreux talents, Paris a su reconnaître la singularité de la cuisine de ce dernier et ainsi le propulser sur le devant de la scène internationale, en acquérant une, puis deux, puis trois étoiles. Pour ce qui est de Rodrigue Barcilon, s’il a débuté sa carrière en tant que salarié, il s’est, par la suite, lancé dans un projet de textile durable et responsable, qui a connu le succès comme l’échec, avec sa fermeture quatre ans plus tard. Mais, ce n’est pas pourtant autant qu’il a abandonné ses ambitions. Il a su rebondir en s’intéressant à un domaine qui l’avait toujours animé, celui de la restauration. Après un CAP cuisine, il a créé son projet de restaurant, mêlant ainsi l’entrepreneuriat et l’une de ses passions, tout en tirant les leçons de ses précédents échecs. Phillipe Le Meur a, lui aussi, commencé sa carrière en tant que salarié et créé son entreprise dont il a dû arrêter l’activité après trois ans de combat féroce pour ne pas faire faillite. Aujourd’hui, il occupe le poste de Secrétaire Général au sein de l’association « Second Souffle » qui a pour but d’accompagner les entrepreneurs faisant face à une situation d’échec. Il organise notamment, tous les premiers jeudis du mois, des évènements afin de réunir des entrepreneurs en difficulté et de discuter de leurs problématiques quotidiennes, « After Faith Events ».
Selon une récente étude de l’Observatoire des entrepreneurs, publiée par le journal « Le Parisien », près de 25 000 entrepreneurs ont été contraints de cesser leur activité et d’ainsi mettre les clés sous la porte au cours du premier semestre 2023, tandis que près de 100 français ouvrent leur entreprise chaque jour. Alors comment le projet d’une vie, projet dans lequel nous mettons toute notre âme et nos moyens, peut rencontrer l’échec après une ascension remarquable ? L’entreprise « Mémoire Tissu » de Rodrigue Barcilon, basée sur une conception écoresponsable du textile, ancrée dans une véritable démarche RSE, a, elle, connu de nombreuses opportunités et succès, présente notamment dans certains grands magasins parisiens. Toutefois, selon son ancien cofondateur, le projet a rencontré de nombreuses contraintes, au travers d’un mauvais ciblage et d’un manque de viabilité, ce qui l’a contraint à revenir à la rationalité et à utiliser cette même ressource créative afin de se résoudre à l’évidence et ainsi de mettre fin à son projet. Quant au Chef Pierre Gagnaire, sa résilience et sa profonde volonté de vivre son métier de cuisinier comme il l’entendait, et de mettre fin à l’affaire familiale, a été pour lui l’une des meilleures décisions de sa vie. Faire de son métier un lieu où la souffrance et la peur, souvent associées aux contraintes physiques et morales des chefs cuisiniers, ouvrait le champ de tous les possibles, et plus précisément une échappatoire artistique où l’on transforme tout produit brut en une véritable œuvre d’art. Grâce à cette vision, Pierre Gagnaire a, de fait, migré jusqu’à la capitale parisienne, où la demande était bien différente qu’en province et où les rumeurs, auxquelles il avait été très peu confronté auparavant, jouaient une place décisive dans la réputation des établissements de restauration. Il s’est donc enfermé dans sa bulle pendant dix ans, animé par cette petite voix qui donne finalement toujours du sens à notre vie, et n’a cessé de s’arrêter de cuisinier dans le but de se prouver et de prouver aux autres qu’une cuisine différente était tout à fait réalisable, poussé par cette infaillible volonté de perfection. « Faites en sorte que votre travail ne soit pas un métier, que le cœur et la sincérité que vous y mettez surpasse les simples missions d’un métier, et laissent place avant tout à exprimer votre plaisir et votre passion ». Si la voie de la passion n’est pas toujours innée, dans le sens où elle n’est pas forcément le premier chemin que nous empruntons instinctivement dans le monde du travail, cette dernière peut également resurgir au moment où l’on s’y attend le moins. A ce moment précis où l’échec semble avoir ébranlé notre vie, alors qu’il n’est qu’une étape vers un avenir meilleur, où notre expérience va s’avérer être le rempart décisif face aux défaites passées. C’est exactement le cas de Rodrigue Barcilon, qui a redécouvert une passion cachée, celle de la cuisine, juste après avoir fermé son entreprise de textile responsable. Comme si cette petite voix, passion originelle qui anime tout homme, avait enfin parlé et laissait désormais place à ce moment précis où il est question de donner un sens à sa vie. Rebondir a donc été, pour lui, toujours synonyme de créer, mais cette fois-ci en mêlant ce qui l’animait tous les jours, à savoir la cuisine, et son ADN de créateur, au travers de l’entrepreneuriat.
Néanmoins, si l’on finit toujours par rebondir et par apprendre de ses erreurs, quels peuvent être les signaux précoces que tout entrepreneur aimerait percevoir pour anticiper une faillite, se préparer tout simplement à l’échec ? Pierre Gagnaire défend l’idée qu’il ne faille pas trop être dans sa bulle. Être passionné, plongé dans un univers qui nous anime, ou comme lui, travailler corps et âme afin de dépasser les frontières classiques du métier de cuisinier et ainsi mettre en évidence l’essence purement artistique qu’il y a derrière chaque met créé, demeure essentiel dans le processus d’entreprendre. Toutefois, la passion a ses propres limites et ne peut nous enfermer continuellement dans une bulle où nos ambitions peuvent devenir de vraies barrières face à une réalité cachée. La complexité à rester factuel et rationnel, dans un projet sur lequel nous avons passé tant d’heures, dans lequel nous avons mis temps de moyens, quitte à laisser sa vie personnelle de côté, reste l’étape la plus ardue dans le processus de prise de conscience, où l’on se rend compte, finalement, que la passion est supérieure à la raison. Or, tout projet, bien qu’animé par une profonde passion, véritable envie de changer les codes, d’apporter son ADN, ne peut être viable que si la raison retrouve une place prépondérante au sein du processus entrepreneurial. Si entreprendre est devenu, de nos jours, extrêmement accessible, il ne faut pas se lancer dans un projet sans le partager aux autres, par peur que l’on nous vole notre idée, ou ne pas se payer, dans le sens où une entreprise pérenne se doit de faire vivre tous ses employés, y compris son directeur. Selon Philippe Le Meur, les maîtres mots pour un projet solide et viable correspondent au fait qu’il est primordial de faire appel à des personnes extérieures, spécialisées dans leur propre domaine, afin de recevoir des avis et des critiques constructifs, de faire des études de marché très ciblées pour se préparer au mieux et ainsi se lancer dans un projet fiable.
Vivant dans une société où l’apparence n’a jamais été aussi importante, où l’information se relaie en quelques secondes sur internet, où le regard des autres tend à impacter plus que jamais nos actions, nos décisions ou encore la propre image que nous avons de nous-mêmes, l’échec est perçu de manière très différente selon les régions du monde. Si certains pays restent très ouverts, ayant une vue d’ensemble sur les carrières professionnelles, et mettant en avant parfois plus les échecs que les réussites pour souligner la capacité de résilience des entrepreneurs, d’autres ne voient les échecs seulement comme une finalité, et non comme une des multiples étapes qui permettent de rebondir et d’entreprendre davantage par la suite. En effet, en France, avoir échoué en tant qu’entrepreneur peut être très mal vu sur le marché du travail, alors que la volonté de créer et la force de se reconstruire devraient primer au sein de cette démarche qui n’est jamais un long fleuve tranquille, mais qui est parsemée de chemins à la fois agréables et sinueux. Dédramatiser socialement l’échec et avoir un regard auto-critique sur son parcours s’affirment ainsi comme les armes les plus efficaces face au regard des autres et aux stéréotypes d’une société, où l’image remplace de plus en plus la personnalité, étant pourtant la plus profonde définition du soi intérieur, de qui nous sommes vraiment.
Alors finalement, échec ou succès, quelle importance ? Nous serons tous amenés à rencontrer aussi bien l’un que l’autre. L’un sans l’autre fonctionne rarement. L’échec est le résultat du succès, tout comme le succès peut être la finalité de l’échec. Si l’on rencontre toujours cette sensation intangible lorsque l’on est face au succès, ce petit quelque chose qui ne s’explique pas, le travail finit toujours par payer. Capter ses forces et ses faiblesses, mettre en évidence ses échecs comme de véritables étapes ayant mené à sa réussite, donner un sens à sa vie professionnelle sans empiéter sur son bien-être et toujours continuer à croire en son projet, telles sont les clés de la réussite. Alors n’ayons pas honte d’être qui nous sommes. Tous simplement, acceptons le fait d’être confrontés à l’échec. «Le plus grand échec, c’est celui de ne pas avoir le courage d’oser».
Continuez à innover, à créer et ayez confiance en vous ! La vie finit toujours par nous réserver des surprises. Et n’oubliez pas de vous joindre à nous pour vivre des expériences tout aussi enrichissantes les unes que les autres et pour tisser de précieux liens pour l’avenir. Qui sait, avez-vous déjà eu envie d’entreprendre ?
« Ensemble partageons nos passions », Ferrandi Alumni
Emmanuelle BLANC
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